CÉLINE ET LES
AUTEURS (G à L)
* Max GALLO
(romancier, essayiste, biographe et homme politique, membre
de l'Académie, 31 mai 2007 ; 1932-2017) : " Je ne veux pas d'une
figuration " virtuelle " du passé national
: je suis du côté de Sénanque et de Versailles, du côté de
Jeanne et de Louis XIV, de Robespierre et de Napoléon, de
Moulin et de de Gaulle.
Et j'assume Thiers, Céline et Brasillach ".
(Clovis et l'euro, Le Monde, 9 décembre 1996, Année Céline 1996).
*
Jean-Philippe de GARATE
(avocat, diplômé de l'Institut d'études
politiques de Paris, juge des enfants, révoqué par la
ministre Christiane Taubira) : " Le même jour à
dix-huit heures, Céline était mort. L'ombre et la rouille...
durant les " années Meudon ", Ferdinand avait adopté la
tenue de guenilles et foulards qu'on lui voit sur nombre de
clichés et interviews, pas net, peigné et rasé d'hier,
sortant cageots et poubelles de sa maison sans grâce, son
jardin livré aux pissenlits et taupinières. Une demeure peuplée
d'animaux tel Toto le perroquet, et une meute de chiens de
garde. C'est à cette époque, dans Nord, qu'il
stigmatisera " la bourgeoisie, l'effort qu'elle fait, pour
se croire encore en 1900... foutue mascarade ! "
Désormais,
finies les pertes de temps, mondanités et autres juponneries
: Céline durant dix ans, de 1951 à sa mort, n'aura été que
l'homme-plume mû par une sombre rancune envers à peu près
tout. L'écrivain maudit, va rebondir, célébré par Roger
Nimier et les Hussards, le vieillard interdit de vacances,
qui ne sort pour ainsi dire pas, se couche avec les poules
et se remet à table dès potron-minet, obsédé par sa dentelle
de pages.
Lui aussi, comme le Proust des
dernières années, se bat, s'en prend au temps perdu. Et
reçoit peu. Excepté tel spécialiste de Balzac lui ayant
parlé d'un possible séjour du Maître à Meudon. Les seuls
proches désormais sont les géants de la littérature, ses
pairs. "
(Jean-Philippe de Garate, Du côté de chez Céline, Portaparole, mai
2019).
*
Bernard GASCO (avocat, peintre et
écrivain): " Lui, il juge, pire il explique, il essaye, il se plante
grave, exemples clairs, je cite: "... son biologisme - c'est ainsi
qu'il faudrait définir son racisme - me paraissait en
total
désaccord avec son génie d'écrivain... " Propos consternant pour ce
que l'on peut en entrevoir, entraver auraient dit Garcin, Gen et
Mahé... Quel rapport entre " génie d'écrivain " et " morale "
? Tragiquement obscur ou tragiquement clair... La morale, c'est pas
marrant, c'est papa, c'est maman, l'épouse, le curé, Monsieur le
Maire... Vous voyez de l'art dans cette équipe façon Domenech ? Le " génie ",
pour ce qu'on peut en percevoir, c'est la bonde lâchée, cage ouverte,
boulot et maîtrise, liberté, impossible à mettre en disserte avec plan,
" valeurs ", " savoir-vivre "...
De toute façon Céline est bien davantage qu'un " simple " génial
écrivain... Il porte dans les brumes de Pigalle et Klarskovmachin la
houppelande de sang et de merde d'une espèce qu'on ose même pas
regarder en face, la nôtre. Dos au mur il s'est vite sapé pour le bal
des maudits. Harlequins, c'est bien aussi, moins de cors aux pieds, la
Veillée des Chaumières, plus de dragées, Martial ou pas. "
(Céline,
Garcin, Sollers... Le Choc du mois, janvier 2010).
* Jean GENET
(poète, dramaturge, romancier, 1910-1986) : " J'ai lu le
Voyage et j'ai une grande admiration pour ce livre.
J'ai
lu D'un château l'autre que je n'ai pas aimé. (...)
Céline, ce n'était pas le langage parlé comme on l'a dit,
c'était un style. Chaque écrivain doit se débrouiller pour
faire passer l'émotion, la poésie.
Il faut que le
souffle passe ou on crève. Avec Céline ça passe. Dans le
Voyage, l'incision pour le souffle a été faite. "
(Ph.
Alméras, Dictionnaire Céline, 26 nov. 1962, dans Spécial
Céline n° 8, E. Mazet).
* Yves GIBEAU
(romancier, 1916-1994) : " La haine de l'uniforme, de la
barbarie, de la vulgarité et de la bêtise ont fait de moi un
inconditionnel de Céline que je n'ai pas osé aborder, croisé
jadis dans un bistrot après la lecture de Mort à crédit.
"
(L'Est éclair, 1994, Spécial Céline n° 8, E. Mazet).
* André
GIDE (écrivain
1869-1951): " En fait de création littéraire de GIDE, je n'en perçois
pas l'atome. Il a du goût, du discernement, je crois que c'est un excellent critique, rien de plus. "
(Lettre à Milton Hindus, 1947).
* Il me paraît que la critique, en général, a quelque peu déraisonné en parlant de
Bagatelles pour un massacre. Quelle ait pu se
méprendre, c'est ce qui m'étonne. Car enfin Céline jouait
gros. Il jouait même le plus gros possible ; comme il fait
toujours. Il n'y allait pas par quatre chemins. Il faisait
de son mieux pour avertir que tout cela n'était pas plus
sérieux que la chevauchée de Don Quichotte en plein ciel...
Vous vous souvenez du raffut que firent ses deux premiers
livres. La presse était éberluée et ne savait plus quel ton
prendre. Certains s'indignaient ; d'autres s'extasiaient ;
on criait au génie, au scandale. Les livres étaient portés
aux nues ou jetés à la poubelle. On les voyait partout. Je
me souviens d'avoir vu Mort à crédit en place
d'honneur sur les plus grandes et les plus humbles
devantures ; même des petits papetiers de province qui,
d'ordinaire, ne vendaient que des journaux, l'exposaient. On
se cognait à lui. On ne pouvait pas ne pas le voir. Ceci
nous le savons tous, et Céline le premier.
Céline excelle dans
l'invective. Il l'accroche à n'importe quoi. La juiverie
n'est ici qu'un prétexte. [...] Ce n'est pas la réalité
que peint Céline : c'est l'hallucination que la réalité
provoque ; et c'est par là qu'il intéresse. [...] Il en va de même avec Bagatelles pour un massacre. Il empile
" haut comme un " des blagues pathétiques et sans
importance, comme l'on espère bien qu'il continuera à le
faire dans les livres suivants. "
(Les juifs,
Céline et Maritain, La Nouvelle Revue Française, avril 1938).
*
Allen GINSBERG (poète américain, membre fondateur de la
Beat Generation, 1926-1997) : "
[...] Céline lui-même vieil ignu au-delà de
la prose
Je l'ai
vu à Paris sale vieux bonhomme au langage
décousu
sa toux
intellectuelle et trois chandails vermoulus autour
de son cou
moisissures brunes sous ses ongles historiques
pur
génie qui dispense la morphine toute une nuit aux
1 400 passagers d'un navire qui sombre
" parce
qu'ils devenaient trop émotionnels "
(Allen Ginsberg, Ignu, Kaddish, Ch. Bourgeois, 2005, in D'un Céline
l'autre, D. Alliot, Laffont, 2011, p.1018).
* Jean
GIONO (écrivain, scénariste 1895-1970): "
(...) - Mage, Roi-Mage, Bethleem etc... vous savez... / C'est GIONO.
/ Il est à lire il me semble. Beaucoup de cabotinage, de
panthéisme très voulu, de Jean-Jacques Rousseautisme forcené.
Barde délirant de la nature avec énormément
d'artifice. Tout cela
sonne horriblement faux et
gratuit mais il y a un don
certain de poésie... mais
plutôt anglaise, chose assez singulière.
Il eut été triomphal il me semble, né anglais -
naturiste lyrique voulu... En français il fait un peu rigoler - et même
beaucoup - il agace - / Votre bien amical / LFC.
(Lettre à
Milton Hindus, le 20 sept. 1947, Lettres Pléiade, 2009).
*
" Céline ?
Simplement : un grand écrivain. "
(Nouveau Candide, 6
juillet 1961).
* Jean GIRAUDOUX (écrivain, dramaturge et diplomate
1882-1944): " Le 31 janvier 1944, Jean
GIRAUDOUX meurt à Paris,
à l'âge de 61 ans. Plusieurs journaux, y compris ceux de la presse de
la collaboration rendront hommage au dramaturge, déclenchant la colère
de Céline qui écrit le 5 février à Révolution Nationale :
- " GIRAUDOUX
le mieux payé des pousse au crime de l'immonde propagande Continentale
- Mandel, le plus fétide enjuivé - grimacier - confiseur - farceur -
imposteur - nul - prébendier - lèche cul des chiots littéraires 39.
Vous n'êtes pas difficiles... "
(www.thyssens.com)
* Johann Wolfgang Von GOETHE (poète,
romancier, dramaturge
allemand 1749-1832): " Céline aime citer les
Souffrances du jeune
Werther (1774), le Roi des aulnes (1782) ou Faust
(1806), même approximativement.
Dans une lettre à Mikkelsen datable de fin 1950, Céline reconnaît le
génie du poète allemand mais estime que " GOETHE qui comprenait
tout n'a jamais compris ni le chrétien, ni le héros - deux lacunes
impardonnables - au sens français ", en somme de n'être pas
Chateaubriand.
Dans Voyage, Céline le cite comme témoin de l'héroïsme des
patriotes de Valmy, tirant un morceau choisi de sa Campagne de
France (1821) : " Je pense, dis-je, que, sur cette place, et à
partir de ce jour, commence une nouvelle époque pour l'histoire du
monde, et nous pourrons dire : J'étais-là ". GOETHE, qui avait
émis des réserves sur la Révolution française, avait pris part à cette
bataille dans les rangs prussiens. "
(Gaël Richard, Dictionnaire des
personnages, Du Lérot 2008).
*
Maxime GORKI (de son vrai nom Alekseï Maksimovitch
Pechkov, 1868-1936, écrivain russe engagé aux côtés des
révolutionnaires bolchéviques) : " Lors du premier congrès
de l'Union des écrivains soviétiques qui eut lieu en 1935,
GORKI attaqua : " Bardamu a perdu sa patrie, méprise
les gens, sa mère, il l'appelle " chienne ", ses maîtresses
" putains " ; il est indifférent à tous les crimes, et ne
possédant aucune données pour se " rallier " au prolétariat
révolutionnaire, il est tout à fait mûr pour accepter le
fascisme. "
(Céline vu de Russie, M. Laudelout et Arina
Istratova, BC n° 191).
* Julien GRACQ (de son
vrai nom Louis Poirier, écrivain, 1910-2007, refusa le
Goncourt en 1951): " Céline, c'est souvent
moins
une débâcle de la langue qui s'écrit qu'un accident du
tout-à-l'égout. " (Lettrines, Ed. José Corti, 1974).
* " Il y a dans Céline un homme qui
s'est mis en marche derrière son clairon. J'ai le sentiment
que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il
était incapable de résister, l'entraînaient inflexiblement
vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes
paniques, obsidionaux, frénétiques, parmi lesquels
l'antisémitisme, électivement, était fait pour l'aspirer. Le drame que
peuvent faire naître chez un artiste les exigences de
l'instrument qu'il a reçu en don, exigences qui sont -
parfois à demi monstrueuses - avant tout celles de son plein
emploi, a dû se jouer ici dans toute son ampleur. Quiconque
a reçu en cadeau, pour son malheur, la flûte du preneur de
rats, on l'empêchera difficilement de mener les enfants à la
rivière. "
(En lisant, en écrivant, Librairie José Corti,
1980).
* Raoul
Henri
Clément Auguste MARQUIS dit Henry de GRAFFIGNY (écrivain,
polygraphe
1863-1934) - modèle de Roger-Marin Courtial des Pereires dans Mort à
crédit):
" Archétype du
savant touche-à-tout exubérant,
scientifique farfelu, auteur de plus de deux cent livres. Auteur d'une
thèse en chimie organique, ainsi que des ascensions en dirigeable, son
œuvre foisonnante fait de lui un des pionniers de la science-fiction.
Louis Destouches le rencontra alors qu'il était secrétaire de rédaction
d'Euréka, revue de
l'invention, dont le bureau se situait 8 rue Favart, modèle du Génitron
de Mort à
crédit. Sa
collaboration ne dura que cinq mois :
MARQUIS
fut embauché comme marionnettiste et mécanicien par la Fondation
Rockefeller ; ses relations avec Louis Destouches s'étaient dégradées
d'après les lettres de mise en garde adressées à Albert Milon sur "
cette vieille épave de GRAFFIGNY
".
Il tenta ensuite une carrière universitaire, donnant des
cours de chimie organique à Paris en 1928-1929. Lorsqu'il se suicida à
Septeil, le 3 juillet 1934, il laissait sa veuve qui vivait
misérablement dans des baraques avec des enfants de l'Assistance
publique - Louis Destouches y mena Lucette Almanzor en 1937 - et
quelques textes qui parurent jusqu'en 1948. On mesure combien la
seconde partie de Mort à crédit,
publiée deux ans après, constitue un hommage posthume à la mesure de ce
personnage hors du commun. "
(Gaêl Richard, Dictionnaire des
personnages dans l'œuvre romanesque de LF Céline, Du Lérot 2008).
* Patrick GRAINVILLE (romancier,
professeur de lettres, prix
Goncourt 1976): " Céline. Voyage au
bout de la nuit. Toute
l'horreur du début du siècle qu'il décrit dans le Voyage -
Verdun, la guerre - Céline y a succombé lui-même dans ses délires de la
deuxième guerre. Si l'homme est par essence mauvais pour l'auteur,
cette espèce de cannibalisme qu'il décrit est métamorphosé par la
langue - une écriture nouvelle où le souci de la musique, de la danse
dans les mots est constant. Des gouffres d'horreur et une sorte
d'apesanteur du langage : dualité pour un chef -d'œuvre. "
(Les cinq
romans préférés, Journal des bibliothèques de la Ville de Paris
n°4, été 1996, L'Année Céline 1996, Du Lérot).
* Pierre GRIPARI
(écrivain 1925-1990):
"... Bien des années plus tard, c'est mon jeune frère qui m'a fait
découvrir Céline en me lisant à haute voix quelques passages de Mort
à crédit. Cette fois ce fut le choc : je découvrais, d'un seul coup,
un extraordinaire tempérament de conteur, un maître du comique, une
prose percutante et raffinée,
merveilleusement faite pour la bouche et
l'oreille, et de plus un étonnant animateur de personnages: je pense à
l'inoubliable Courtial des Péreires.
Après cela,
bien sûr, je me suis mis en quête, et j'ai découvert tout seul, comme
un grand garçon, le Voyage, Guignol's band, Mea culpa, Bagatelles pour un
massacre et D'un château l'autre qui reste
aujourd'hui, avec Mort à crédit, mes Céline préférés. Mais
c'est ce dernier livre, je m'en excuse, qui reste pour moi
l'initiateur, l'introducteur, la locomotive... Il me touche plus, il me
parle de plus près que les autres. Le Voyage lui-même (un des
plus grands livres du siècle, c'est vrai), ne vient qu'en second, dans
son sillage... "
*
" Les écrivains maudits de la drôle de
Libération furent souvent des hommes d'élite, qui font
honneur à notre pays. C'est une chose que tout le monde
sait, que beaucoup murmurent, qu'un petit nombre dit tout
haut, que certains même osent écrire. Chose curieuse,
l'indispensable travail de réhabilitation qui se fait à leur
propos ne porte jamais sur la totalité d'entre eux, mais
procède d'une façon parcellaire, à coups d'opérations
ponctuelles. C'est ainsi que nous avons les amis de
Brasillach, les admirateurs de Céline, les fidèles de Drieu,
les défenseurs de Rebatet...
Chacun plaide pour son champion, parfois même aux
dépens des autres ! Chose plus curieuse encore, ce ne sont
pas toujours les moins marqués politiquement qui sont
réhabilités les premiers. Ainsi, on boude encore Marcel Aymé
dans des milieux où l'on a depuis longtemps " pardonné " à
Céline ! "
(Nouvelles critiques, L'Age d'Homme, coll.
Contemporains, 1987, dans BC n° 60, août 1987).
* " Il y a dans Bagatelles pour un
massacre, une vision quasi prophétique de tout ce que
nous voyons se réaliser aujourd'hui : règne des " idoles "
(le mot y est !), de la camelote ; de l'avachissement
généralisé ; dévalorisation de la chose peinte ; de la chose
chantée, de la chose écrite. Le titre signifie que la
Seconde guerre mondiale, qui se préparait alors, serait
avant tout une guerre coloniale juive, ce qu'elle fut en
effet. Voilà ce qui rend ce livre dangereux, il est vrai. "
(Piere Gripari dans Frère Gaucher ou le voyage en Chine, L'Age d'homme,
1975, in BC n° 101, p. 5, rapporté par J. D'Arribehaude).
*
Frédéric J GROVER (professeur de littérature
française, Université de la Colombie-Britannique 1920-2008):
" Dans son Journal, Drieu mentionne Céline une
dizaine de fois. C'est toujours pour le mettre au nombre des
" vrais " écrivains, de ceux qu'il considère les meilleurs
de sa génération : Bernanos, Malraux, Giono. Dans ses
Notes pour comprendre le siècle, en 1941,
il se félicite que Céline ait " remis la littérature
française dans une de ses veines les plus certaines, la
veine médiévale, voyante ". Il rend hommage à la "
magistrale imprécation de Céline " et il le définit : "
Céline c'est Bloy moins Dieu ". Ce rapprochement permet de
mieux comprendre la parenté de Bardamu et de Gilles :
l'ancêtre commun de ces deux réfractaires est Le
Désespéré.
Dans la N.R.F. de
mai 1941, Drieu consacre une étude à Céline. Il voit en lui
surtout l'auteur de Voyage, un des grands écrivains
de tempérament, un des grands stylistes qui font l'honneur
de sa génération. Il montre que ce style est imposé par la
vision originale de l'auteur : " le style même de Céline se
justifie par la nécessité. Comment montrer la vérité de
notre temps (...) si l'on ne rompt pas avec tout académisme,
si l'on n'avoue pas un procédé patent de la syntaxe le
désastre de l'être usé et tordu ? Dans une décadence, ceux
qui l'acceptent franchement, qui la déclarent, sont les
seuls qui peuvent encore s'exprimer. "
(Céline et Drieu
la Rochelle, Cahiers de l'Herne, Biblio, poche,
1963-1965-1972).
* Gérard GUEGAN (écrivain): " Les écrivains restent
impassibles devant les évènements, ils ont un rapport convenable aux
choses car ils voient les situations à travers une grille qu'on leur a
procurée. S'élabore une littérature sans odeurs (...) Aujourd'hui, tout
porte à la crainte, tout porte à liquider le vocabulaire.
La
majorité des écrivains sont prisonniers
de leurs fantasmes personnels, ne tentent pas de passer au travers.
Proust, Céline, Henri Calet ont eu envie d'aller voir de l'autre
côté... "
(Le Quotidien de Paris, 4 août 1993).
* Jean GUENOT
(enseignant,
écrivain, éditeur): "
... Les Aragonautes découvrent un petit bourgeois libertaire
enraciné dans le passage Choiseul. Très peu de ceux qui font la pluie et le beau
temps, dans les goûts littéraires de cette époque difficile, perçoivent le génie dans les cadences, l'audace dans les tons et les jeux de la présence.
D'ailleurs, Elsa, ayant épousé le génie littéraire de son siècle, mieux
valait qu'elle n'eut pas à troquer l'ombre pour la proie ".
(Suite à
la sortie de Mort à crédit. BC déc.1999).
* " Je ne connais pas
de descendance littéraire à Céline. Seul peut-être Coluche et son style
pourrait s'en approcher. "
(Faim du siècle, Paris, 1er mai 1994).
*
Henri
GUILLEMIN (historien, polémiste 1903-1992): " (...) Un grand sujet,
un peu plus loin, un de ces morceaux de bravoure qui permettent les
plus beaux effets : le départ du Normandie ; Normandie, "
triomphe de nos contributions
", " le plus crâneux
de
nos déficits ", la " gigantesque panse , la fantastique tout-en-fer, la
nef du prochain déluge ", ces " Champs-Elysées montés sur péniche ".
Ou
encore cette rapide image des 1er mai d'avant guerre, quand les
ouvriers de Paris dressaient des barricades " rien que pour faire
sortir tous les cuirassiers, que ça scintille plein les Boulevards " ;
et les quatre pages, bardées de citations latines, à l'adresse de M.
Maurras, toujours à " circonlocuter , à digresser pompeusement, à
s'admirer tout ronronnant dans l'ordonnance d'un beau
vide " ; et l'allusion charmantes aux " partouzes d'aveux spontanés " de
Moscou. "
(L'Ecole des cadavres, in La Bourse égyptienne, Le Caire, 19 février
1939).
*
Louis GUILLOUX
(écrivain, 1899-1980): " Interrogé
en 1973 sur sa lecture de Voyage au bout de la nuit, Louis
GUILLOUX répondait: " Le Voyage a été un évènement,
m'avait paru un très bon livre, évidemment, et
plein d'accent, euh... d'attaque assez
merveilleuse... Je n'ai jamais vu Céline, jamais rencontré, j'aurais dû.
Au début, j'en avais envie. Après, non. L'attitude sociale, enfin,
politique, qu'il a prise me déplaisait, quoi, et continue à me
déplaire. Ceci dit, même dans les ouvrages, comme D'un Château
l'autre, il y a des choses intéressantes.
Le tableau de l'émigration à Sigmaringen,
c'est un assez grand tableau historique, n'est-ce pas. Le tableau
existe, la voix de Céline... Il y a un livre d'un autre adversaire,
disons... philosophique, qui est Rebatet: Les Décombres. C'est
impressionnant comme tableau. Evidemment, les points de vue, c'est
autre chose. Mais le tableau de ce qu'on appelle l'exode, c'est très
sérieux... C'est le talent dans la violence. "
(Rivarol, 5 fév.2010)
* Paul GUTH (humoriste, journaliste, écrivain 1910-1997): " Il m'a fallu,
m'écrivait alors Céline, il m'a fallu servir pendant tant d'années de
fils, de serf, de paillasson, de héros, de fonctionnaire, de bouffon,
de vendu, d'âne, d'écureuil, à tant de légions de fous divers, que je
pourrais peupler tout un asile, rien qu'avec mes souvenirs.
J'ai nourri d'idées, d'efforts, d'enthousiasme, plus de crétins
insatiables, de paranoïaques débiles, d'anthropoïdes compliqués, qu'il
n'en faut pour amener n'importe quel singe moyen au suicide. "
(rapporté
par Jérôme Gauthier, Le Canard enchaîné, 12 juillet 1961).
*
Kléber HAEDENS
(écrivain 1913-1976): " L'œuvre de Céline restera dans
ses moments forts comme la plus grande épopée populaire qu'aucune
littérature ait jamais pu créer. Elle a inventé un monde presque fabuleux où l'on entend la
terrible musique de notre siècle, où la réalité la plus nue, demeure
toujours présente, où le Petit Poucet est désormais le mince
enfant des faubourgs, où les remorqueurs sur les rivières et les
cheminées des usines remplacent les tapis volants et les forêts des
contes, où le rire le plus violent et le plus amer qui ait jamais
frappé les oreilles des hommes éclate à chaque page, se mêlant à la
rumeur du monde, s'arrêtant parfois pour nous faire entendre un air
délicieux de mélancolie.
Le docteur Destouches a donc terminé son voyage au bout de son étrange
nuit. Pour Céline et pour son œuvre, ce qui maintenant commence porte
un très beau nom, disait Giraudoux, cela s'appelle l'aurore, une de ces
aurores qui s'ouvrent doucement pour l'éternité. "
(Paris-Presse, 5
juillet 1961, après le décès de L.-F. C.).
*
Marek HALTER (écrivain juif, peintre et romancier): " Il me semble que
c'est en France que l'on a développé une sorte de vénération, non
seulement pour la parole mais aussi pour le style. On admire un
écrivain non pas le contenu mais pour son style, et c'est l'un des
rares pays où les choses se passent ainsi. C'est en France qu'on trouve
l'amour pour un Proust
juif et homosexuel.
Maurras,
par exemple, qui l'avait pris pour cible à cause de ce qu'il était,
mais qui néanmoins admirait son style. Ailleurs, on célèbre un Dostoïevsky pour le contenu bouleversant plus pour le style qui n'est
pas renversant. Pour une belle phrase ou une belle tournure, on est
capable, en France, de pardonner beaucoup. Voyez Céline. "
(Tribune
juive, 26 octobre 1995).
*
Pierre HAMP
(romancier, inspecteur du travail,
écrivain humaniste 1876-1962) : Mon cher Ami / Vous pensez, je me suis
jeté sur votre livre ! Moi si mal dormant je dois m'y
reprendre... Je ne dors plus du tout ! Tant de livres sont parfaitement
inutiles ! (les miens peut-être ?) les vôtres sont toujours absolument
indispensables !... Vous êtes un veinard, sous les cendres atomiques
vous serez encore très vivant ! / Bien affectueusement vôtre. / LF
Céline Destouches. "
(A Pierre Hamp,
le 6 juin 1957, Lettres Pléiade,
2009).
*
Knut HAMSUN (écrivain norvégien, né Knut Pedersen,
1859-1952): " En
septembre dernier, l'ambassade de Norvège a organisé à Paris une
semaine en l'honneur d'un
de ses grands écrivains : Knut HAMSUN
(1859-1952). On sait que l'auteur de La Faim eut
quelques ennuis à la Libération pour avoir soutenu les forces de l'Axe
durant la guerre.
Pour l'attaché culturel norvégien, ceci " n'est pas sans rappeler le
parcours d'un écrivain français, Louis-Ferdinand Céline, à qui pourtant
les Français ne ménagent pas les louanges et dont le succès ne s'est
jamais démenti. " Précisons que le 16 novembre 1994, la petite-fille de
l'écrivain a découvert une plaque apposée sur l'immeuble où HAMSUN
vécut, 8 rue de Vaugirard entre 1893 et
1895.
Faut-il rappeler ici que notre projet d'apposition d'une plaque
commémorative rue Girardon s'est heurté par deux fois à un refus des
autorités françaises ? Le parallèle HAMSUN-Céline s'arrête là. "
(BC
n°151 avril 1995).
* Marc HANREZ
(docteur en Lettres Modernes, diplômé de l'Université
Paris VII, enseignant aux Universités du
Massachusetts Amherst (1967-1970) et du Wisconsin UW-Madison (1970-1999):
" Si Céline
dénonce le rôle essentiel tenu par les Juifs dans la
politique, l'économie, l'information, les arts (où
ils écartent les talents " indigènes " au profit des
éléments internationaux sans racines profondes), s'il les
traque jusque dans les moindres recoins de l'activité
nationale ou mondiale, il néglige de les compter dans ses
propos très pertinents sur les ravages de l'alcoolisme, les
tares de l'instruction publique, les absurdités de
l'urbanisme, la mesquinerie des femmes, prouvant par là même
qu'il tâche, non pas de conspuer le Juif en tant que Juif
(il s'explique là-dessus à plusieurs reprises), mais de
mettre en garde le monde, et les Français d'abord, contre
une certaine mentalité dégénérescente - apparentée à la
mentalité sémitique - qui corrompt la pensée et l'action des
Occidentaux. "
(Céline, 1961, p.167, BC n°110, nov. 1991).
*
" Il m'est impossible aujourd'hui, à
plus de vingt ans de distance, de reconstituer mes cinq visites en
détail et dans l'ordre. N'empêche que j'en ai gardé une série de
souvenirs durables. Ma vision de Céline, qui doit correspondre à ma
deuxième visite, est la suivante. Habillé de son gilet de cuir de
l'armée anglaise, avec une espèce de foulard et un vieux pantalon trop
large, il est debout près de la cheminée du salon qui lui servait de
cabinet de travail. Mon texte en main, il me complimentait sur la
" gnose " dont je l'avais " honoré "...
Ce qui
m'a toujours le plus frappé dans son personnage, c'était le contraste
entre cette allure de clochard ou de bûcheron et un discours
extrêmement châtié malgré l'usage éventuel de l'argot. Céline avait un
sens inouï, magnifique de la langue, et son parler oral en était la
preuve autant que son style écrit. "
(BC n°197, Retour à Meudon).
*
Marie HARTMANN (agrégée de lettres, maître de conférences à
l'Université de Caen): " L'Histoire s'écrit comme
testament. Qualifiant en toute mauvaise foi tous les
groupements politiques ou religieux de " chapelles ", Céline
les dénonce
comme
arsenal de dogmes au nom desquels s'organisent les mises à
mort, la sienne d'abord, polémiquement, mais surtout celle
de l'humanité toute entière consentante. Dans cette
perspective, le communisme, le nazisme, mais aussi
l'humanisme s'équivalent. Ils reposent sur une croyance
(religieuse) aux possibilités de transformation de l'homme
et de la société, menant fatalement, au pire. Ils supposent
une négation de l'individu dans la masse et utilisent la
définition " carnassière " de celle-ci. (...) Céline
ridiculise les convictions politiques, tourne à l'absurde
les certitudes scientifiques, se moque des engagements
littéraires, et fait feu de toutes les croyances.
Cette
démystification s'opère grâce à un jeu de pitre. En effet,
s'en prenant au sens même, étymologique, de toute religion,
" relier ", " lier ", le pitre dénonce le lien entre
l'Histoire et la foi. L'écriture célinienne fouille tous les
aspects de la corrélation politique-religion-Histoire. Dans
la dérision, la polémique, la parodie, elle montre que les "
idéologies " au sens large, les " mythologies ", se situent
toutes sur un terrain religieux qui est pour lui celui du
culte de la mort. Ainsi, loin d'expliquer ou de réguler le
mal, elles en sont le fondement. "
(L'Envers de
l'histoire contemporaine, thèse de doctorat, janvier 1999,
L'Année Céline 1999).
*
Georges HENEIN (poète surréaliste
égyptien, écrivain, journaliste 1914-1973): " L'œuvre de Céline est
une tornade. D'un château l'autre est une équipée insensée
mais délivrante, la grande tirade de l'irrévérence, une véritable
hécatombe des gloires publicitaires, des combinards de l'esprit, une
défénestration jubilante des gens de bon aloi, de ceux, comme dit si
bien Prévert, " qui mettent un loup pour manger de l'agneau ",
académiciens, politiciens, vedettes de la plume et de la haute pensée,
âmes secourables, spécimens raffinés des sociétés finissantes et
commerçantes qui s'arrangent pour que l'escroquerie continue, quel que
soit le décor.
Tout le monde y passe. Chacun en prend pour ses prétentions à la
vérité. Mauriac, Aragon et sa dame Triolette, Sartre (que Céline
n'appelle jamais autrement que Tartre), Minou Drouet, les Tartares,
Truman, Montherlant, et j'en oublie des dizaines. Certaines pages
emportent tout dans une rafale de rire. Chose étrange, Céline me fait
songer à Bossuet. Chez l'un comme chez l'autre, c'est tout le temps le
jugement dernier. La principale différence entre eux, langue à part,
c'est que Céline nous redonne la force de rire, nous aide à rire d'un
monde solennel et affligeant. Les écrivains de gauche ont un tourment :
il s'appelle Louis-Ferdinand Céline. Il cumule arbitrairement
l'avantage d'être mort et d'avoir, de toute façon, un talent de
tonnerre qui tient à distance kilométrique tous les roquets désireux
d'aboyer à ses trousses. "
(L'esprit frappeur, Carnets 1940-1973, éd.
Encre,1980 dans BC n° 215 déc.2000).
*
Emile HENRIOT (poète, romancier, essayiste, critique
littéraire) : " [...] M. Céline est un médecin. On aime à
croire toutefois qu'il est moins dur avec ses clients qu'il
ne l'est avec ses lecteurs, et que sa sincérité ne va pas à
déclarer à ses malades : " Mon ami, vous êtes incurable ! "
comme il ne cesse de nous le répéter dans ses écrits. "
(Céline
et Zola, in Le Temps, 4 décembre 1933).
* Anne HENRY (normalienne, professeur
d'Université): " (...) Qui d'autre enfin a présenté avec une telle
proximité l'inguérissable et humiliante blessure, celle de l'individu
écrasé, nié par l'invasion du monde extérieur, l'arbitraire des
mouvements collectifs, la rapacité de tous, la dureté des choses, le
mur de l'universelle bêtise, pour ne rien dire des encombrements créés
par ceux qui prétendent vous envelopper d'amour, la famille, les
femmes, les copains, cet ensemble qui corrode le seul bien auquel est
attaché un homme, son intégrité subjective. "
(Céline écrivain,
l'Harmattan, 1994).
* Philippe
HERIAT (Georges, Raymond
PAYELLE,
écrivain, acteur de cinéma et de théâtre 1898-1971): " J'ai (...) assez
bien connu Céline quand il entra
chez Denoël, quelque temps après moi, et j'ai à peu près assisté, jour
après jour, à la découverte de son manuscrit du Voyage, telle
que la conte Max Dorian. Nous
étions en très bons termes, je suis
allé le voir rue Lepic, et c'est à son souvenir de cette époque que je
retourne le plus volontiers. Le Voyage venait de paraître,
composé avec ces " blancs " que Robert Denoël, à la fois excité et
effrayé de son audace, y avait fait ménager, et le succès du livre
avait déjà éclaté, quand je demandai un jour à notre éditeur ce que
Céline préparait maintenant. " Il est hésitant. Il cherche son
style Je ne saurais, après trente
ans, garantir l'exactitude des termes, mais j'affirme celle du sens, et
celle de cette petite phrase : Il cherche son style. "
C'est parce
que ces quatre mots me frappèrent qu'ils se gravèrent dans mon esprit.
J'y ai bien souvent songé depuis. Je les ai entendu prononcer quand Mort
à crédit n'était pas commencé, dont le génie verbal allait
continuer, en le surpassant peut-être, celui du Voyage ; quand
s'ouvraient une carrière et un destin qui semblent maintenant si
logiquement contenus dans leur premier départ ; enfin quand il n'était
pas même imaginable que le style de Céline ouvrirait une école, aurait
des imitateurs et des disciples, deviendrait la forme de pensée et la
forme de révolte de toute une postérité. "
(Philippe HERIAT, L'Herne
n°5, 1965).
*
Tomohiro HIKOE (Université Paris
IV,): " (...) En ce qui concerne la figure de gangster de Chicago, il
est difficile de ne pas mentionner la fameuse séparation avec
Elizabeth
Craig. En juin 1934, Céline est parti aux Etats-Unis pour retrouver une
jeune Américaine avec qui il avait vécu pendant quelques années. Mais
Elizabeth le repoussera sans espoir. Céline explique ce drame à Henri
Mahé dans les termes suivants " Il m'est arrivé depuis un mois des
choses si fantastiques que je délire encore un peu. Le destin m'a fadé,
véritablement. J'ai même une série de furoncles pépères. Pour tout dire
brièvement E. s'est donnée aux gangsters. Vous imaginez facilement la
suite. "
Cette image de gangster apparaît souvent quand il s'agit de la rupture
avec Elizabeth ; dans une lettre à Milton Hindus, Céline se souvient de
son ancienne maîtresse : " Elle doit avoir maintenant 44 ans environ, si
elle vit encore ! Elle vivait dans un nuage d'alcool, de tabac, de
police, et de bas gangstérisme avec un nommé Ben Tenkle (sic) - sans
doute bien connu des services spéciaux - Carolina Island, etc... "
(Roman
et récits légendaire et populaire chez LF Céline, thèse).
*
Michel HOST (écrivain, chroniqueur
littéraire, prix Goncourt 1986): " A écrivain gênant, mémoire gênée.
Les cent ans qu'aurait eus Céline cette année ont pris des teintes
entre chien et loup. Certes, on n'allait pas dévoiler des plaques,
baptiser des rues, ni même des impasses. Sully Prudhomme a son avenue à
Paris, le pavillon de Meudon est promis aux démolisseurs. On
imagine que Céline s'en fût moqué comme de l'an quarante... Voire. Il
enrageait assez, en son exil danois, des honneurs échus aux installés,
aux rivaux en littérature.(...)
Au pays du franc-parler, celui des Rabelais, Montaigne, Montesquieu,
Voltaire, Rivarol, Darien, et de tant d'autres, la circonlocution et la
précaution de langage sont devenus garantes des intentions. Qui n'a pas
d'abord déclaré la pureté de ses pensées profondes est à priori
suspecté de réaction opiniâtre, et en l'occurrence, de tous les
collaborationnismes et révisionnismes envisageables. "
(Céline ou un
centenaire discret, Revue des Deux Mondes, janvier 1995).
*
HOUELLEBECQ Michel
(de
son vrai nom Michel THOMAS, écrivain): " Céline, bon romancier sans
génie, excelle dans le pamphlet, genre qui correspond le mieux à son
âme mauvaise et vindicative et, l'Agité du bocal comme
certaines pages de ses textes antisémites sont d'une drôlerie cruelle,
d'une hargne absolument irrésistible. "
(Ennemis publics.
Flammarion-Grasset 2008).
* " J'avais lu Bagatelles pour un
massacre, ça m'avait bien plu - sans plus. Je suis
partisan de tout publier, pour le principe ; mais en
l'occurrence, ça n'a quand même pas un intérêt énorme. Je
n'ai jamais bien réussi à m'émouvoir du célèbre drame : " Un
génie mais un salaud, Dieu que l'âme humaine est complexe !
", simplement parce que je ne tiens pas Céline pour un
génie, rien à voir avec Proust par exemple, mais pour un bon
auteur un peu surfait, assez péniblement maniériste sur la
fin.
Il m'est même arrivé de me demander s'il avait
été réellement antisémite, si tout cela n'était pas
qu'opportunisme cynique pour s'assurer une position élevée
auprès des autorités d'occupation. Je n'aime pas beaucoup en
général les auteurs de pamphlets (Léon Bloy, Céline).
Exhalant leur âme vindicative et mauvaise, ils sont souvent
distrayants à la première lecture ; mais on a rarement envie
d'y revenir. Tout cela manque de miroitements, de mystère. "
(Les Inrockuptibles, Faut-il publier Bagatelles pour un massacre ?, 23
février - 1er mars 2011).
*
Philippe HUMBERT (agrégé et docteur ès lettres,
enseignant en lycée et auteur de romans, prix RTL-Lire pour
La fortune de Sila, août 2010) : " L'ampleur de la
vision de Céline sur les différents théâtres du monde me
touche : la guerre, la décolonisation, le capitalisme
moderne. Une certaine idée de l'homme, même si j'adhère
moins qu'autrefois à son pessimisme.
Céline n'est pas un
grand homme de la Nation, comme Hugo, Zola, Malraux, qui ont
pu servir l'idée que la France avait d'elle-même. Mais c'est
d'évidence un grand homme de la littérature que je fais
étudier à mes élèves dès la seconde. "
(20 minutes Paris,
1er juillet 2011, Le Petit Célinien blogspot.com).
*
Pascal IFRI (enseignant, docteur de
l'Université Brown): " (...) Je désire apporter un modeste témoignage
personnel et ainsi contribuer à améliorer la réputation de Milton
Hindus parmi les céliniens qui l'ont souvent jugé sévèrement. J'ai
fait sa connaissance en 1986 lorsque, à ma grande surprise, il a
accepté de participer à une session consacrée à Céline, à l'occasion du
25ième anniversaire de sa mort, que j'organisais dans le cadre de la
convention de la Modern Language Association à New-York. J'ai
eu ensuite le plaisir de le rencontrer à plusieurs autres reprises et
de correspondre avec lui.
Sa
passion pour Céline était demeurée intacte. Quatre mois avant sa mort,
il m'écrivait : " Alors que j'étais à Paris en juillet dernier, j'ai
demandé à nos hôtes français de nous conduire à Meudon, où je me suis
intéressé non seulement à la statue de Rabelais à la mairie, mais aussi
au vieux cimetière où Céline est enterré. J'y ai laissé une petite
pierre dans un réceptacle qui contenait de nombreuses pierres venant
d'autres visiteurs. (...) Nous avons aussi visité et photographié sa
maison route des Gardes où sa veuve, à 85 ans, habite toujours et donne
des cours de danse ! Mes hôtes m'ont photographié en train de présenter
mes respects (ce que Proust décrit comme une coutume juive) devant la
dalle qui marque le lieu où il est enterré. "
(BC n°195, février
1999).
* Roger IKOR (1912-1986, écrivain, prix Goncourt 1955): "
Maintenant avec le recul, je sais que Céline n'était que le produit le
plus achevé, achevé jusqu'au monstrueux
(car est monstrueux tout ce qui
refuse l'équilibre des extrêmes, tout ce qui se
tient à un seul
des extrêmes bouts de soi-même : Joyce et Proust aussi sont monstrueux)
d'un puissant courant de pensée et de littérature né avec le siècle et
animé par Dionysos - disons irrationaliste, mystique et romantique.
Depuis que j'ai pris conscience de mon propre appel intérieur, je ne
cesse de lutter contre ce courant. C'est pourquoi je ne m'étonne plus
de ma répulsion instinctive pour le Voyage.
L'étrange, c'est que cette
répulsion se mêle d'une admiration assez active pour avoir influencé,
parfois en profondeur, mon œuvre propre. Et je ne suis pas une
exception : l'ensemble de la littérature actuelle est sous le signe de
Céline. Au même titre que le surréalisme, dont il est d'ailleurs
cousin, Céline a débridé la puissance créatrice d'images de l'homme. Il
l'a débridée en lui permettant l'usage spontané du langage français
tout
entier, argot et grossièretés compris, mais grammaire renvoyée aux
vieilles lunes. "
(Au feu de
l'enfer, L'Herne n°3, 1963).
* Jacques IZOARD (de son vrai nom
Jacques Delmotte, 1936-2008, poète, critique littéraire et essayiste
belge): " J'avais téléphoné, pour savoir s'il accepterait de me
recevoir, et rendez-vous avait été convenu. Je me suis rendu à Meudon.
Je me souviens très bien de l'endroit. C'était l'été, il faisait très
beau. Une grande plaque
annonçait le " Docteur Destouches, Médecine générale " et les cours de
danse de Lucette. J'ai avisé, dans le parterre en face de la maison, un
vieux monsieur qui arrachait des mauvaises herbes. Je lui ai demandé à
parler à Louis-Ferdinand Céline, et il m'a répondu " C'est moi
! " de sa voix caverneuse.
J'étais saisi car je ne m'attendais pas du tout à ce que ce soit ce
personnage, pauvrement vêtu, avec une vieille écharpe ! Puis il m'a
dit : " Attendez, je fais rentrer les dogues ! ". Il m'a
ouvert, je l'ai suivi jusqu'au perron, et là, avant d'entrer, il m'a
tendu un feuillet : " Lisez ça d'abord ! " Il s'agissait d'un
texte de Baudelaire qui se terminait par ces mots : " Je me suis arrêté
devant l'épouvantable inutilité d'expliquer quoi que ce soit à qui que
ce soit. " La douche froide pour le jeunot que j'étais ! Nous sommes
entrés, il a dit à Lucette de nous laisser seuls, et la discussion a
commencé. "
(Propos recueillis par F. Saenen,13 juin 2008).
*
Max JACOB (poète,
romancier,
essayiste, peintre 1876-1944): " C'est le salon de mon ami docteur...
(il
s'agit
du docteur Tuset), il y fait chaud, je suis bien parmi des visages
intelligents. A ce moment, la porte s'ouvre et Jean Moulin entre... Il
n'était pas là depuis cinq minutes que l'on introduisait le docteur
Destouches, c'est-à-dire Céline lui-même. Notre hôte savait que Céline
et moi avions des idées opposées auxquelles nous tenions farouchement,
que Jean Moulin avait les siennes et il eut un drôle de
sourire... vaguement inquiet.
... Cependant rien ne se
produisit,
Céline et Jean Moulin étaient intelligents : oh ! combien... moi,
un peu... et du choc des idées ne jaillit qu'une lumière douce. Nous
avons parlé : magie, prémonitions, graphologie... moi, je crois au
langage des mains. Céline était à peu près de mon avis et Jean Moulin
m'approuvait. Je puis affirmer que cette soirée ne fut pas étrangère au
nom de guerre de Jean Moulin, qui dans la résistance se faisait appeler
Max... "
(Paru dans Voix et visages,
1972, rapporté par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Espoir n°119, juin
1999).
* Alexandre JARDIN (écrivain, réalisateur): "
A douze ans, le Voyage au bout de la nuit est entré dans ma
vie. Le verbe de Céline m'a fait sentir, avec brutalité, que le
français restait à violer, que notre
langue était disponible pour toutes les aventures stylistiques. Ce
roman singulier m'a écarté de la littérature tant mon émotion était
vive lorsque je lisais les déambulations de Bardamu ; tout le reste me
semblait fade, inerte. Seul, le grand Louis-Ferdinand me précipitait
dans les affres, seule sa prose me donnait la mesure de mes propres
sensations.
Il y avait dans ses phrases plus d'or que je n'en avais
jamais trouvé sous une couverture de livre. Lui seul savait me
réveiller avec des mots. Plus tard, j'ai relu ce texte faramineux : ma
première émotion se poursuit encore dès que je soulève la vieille
couverture de chez Denoël et Steele. Céline me rend mes dix ans. "
(Infomatin,
2 juin 1995).
*
Régis JAUFFRET (écrivain, prix Fémina 2005 avec Asile
de fous ): " Aujourd'hui les pamphlets de Céline sont en
libre téléchargement sur Internet et je les ai récemment
approchés. Je n'ai pu aller bien loin dans ma lecture. C'est
gerbant. Céline a écrit certains des grands romans du siècle
dernier. Ils m'ont enchanté.
Mais à présent, j'ai du
mal à entendre son nom sans penser à la gueule de vieil
antisémite bien de chez nous. Un antisémite avec chats,
comme Léautaud. On m'a dit que je lui ressemblais
physiquement. Je préfèrerais ressembler à Kafka. "
(20
minutes Paris, 1er juillet 2011, Le Petit Célinien
blogspot.com).
* Serge JONCOUR
(écrivain): auteur de " L'homme qui ne savait pas dire non " : " C'est
sans doute le plus vieil exemplaire que
j'ai ; c'est le n° 28 de la collection Folio.
Il ne reste rien de mes lieux d'enfance, je veux dire des maisons
habitées par mes parents, mes grands-parents, tout cela est devenu des
territoires autres.
Il n'y a que quelques livres qui m'ont suivi, d'une
façon aléatoire, pas préméditée, et cet exemplaire, comme les quelques
autres que j'ai toujours, est annoté. De phrases soulignées, mais pas
seulement, de prénoms, de n° de téléphone, de choses à faire. Les
livres que je lisais m'ont toujours servi de bloc-notes. En même temps
du coup, c'est chaque fois comme un fragment temporel qui remonte. "
(B.C.
octobre 2009).
* Marcel JOUHANDEAU (écrivain 1888-1979): "
J'ai vu Céline une seule fois et voici dans quelles circonstances. Paul Chambrillon était venu à la maison, rue du Commandant Marchand, Porte
Maillot pour m'apporter un disque. Il me dit : - " Si vous voulez vous
donner la peine de descendre dans la rue, il y a quelqu'un dans ma
voiture qui serait content de vous serrer la main. C'est
Louis-Ferdinand Céline. "
Vous devinez que je me suis précipité. En sa présence,
(il venait de rentrer en France), je ne savais que dire
! Nous nous sommes regardés un moment les yeux dans les yeux. Pas un
mot de sa part ou de la mienne. Seul convenait le silence à notre
mutuelle émotion. la mienne était certaine et pour cause la plus vive,
la plus violente. En lui je vénérais la Pauvreté, le prestige du
Martyre.
Pour moi, je n'avais que mes ouvrages qui puissent me
recommander, et que le relief des siens faisaient paraître si peu de
chose. Je l'ai quitté, comme on ne peut supporter l'éblouissement causé
par la modestie plus injustifiée, par une modestie dont la majesté
m'accablait. Je me suis retiré, autant que je me souviens, à reculons,
pour ne pas avoir à me retourner. Rien ne devait lui déplaire comme
l'expansion ! ne lui plaire comme l'économie du geste. Toute la soirée
qui suivit, je suis resté bouleversé, comme après le passage d'un
évènement cosmique incompréhensible. "
(L'Herne, 1963).
*
James JOYCE
(romancier et poète
irlandais, 1882-1941): " Je ne sais quels jean-foutre essayent en ce
moment de me faire appartenir à la lignée JOYCE ! Son enculé... ! Son
élève son plagiaire presque ! du diable ! Quelle manie ils ont tous de cosmopoliter à tout prix - !! le Français Victor Hugo élève de
Shakespeare ? Lamartine élève de Schiller ! à tout prix ! un père
étranger c'est grotesque ! insupportable !
Je n'ai jamais lu d'abord qu'une seule page de JOYCE - Ça m'a
suffi. Je ne méprise pas. Je ne méprise rien. Mais il ne me dit rien.
Je ne suis pas un enculeur de mouches moi. Je fais des Chansons - Les
cons des lettres, abrutis, n'ont pas encore compris ? Si je devais
appartenir à une lignée elle serait strictement française diantre ! Tallemant ?... Bruant... peut-être ? Vallès sûrement... Barbusse... Cette
manie de comparer une langue création vivante par excellence à
des traductions forcément choses mortes !! Et le rythme
? et la cadence ? qui sont TOUT ils n'en font RIEN ! C'est une
entreprise de destruction en profondeur que mènent ces gens... / A toi.
/ Ferd "
(Lettre à Paraz du 24 nov.1949, Lettres Pléiade
2010).
* Ernst
JUNGER (écrivain, essayiste et romancier allemand 1895-1998) : "
L'ambassadeur Abetz s'était entiché de Céline. Il pensait qu'il avait
revivifié la langue française comme jadis Rabelais... Abetz ne semble
pas être seul de cet avis. A mon étonnement, j'ai entendu dire que
Céline était même édité en Israël. "
(Le Figaro, 8 juin 1994).
*
Serge KANONY (agrégé de lettres classiques, spécialiste
de Céline, professeur de lycée) : " Mystérieux monosyllabe
que chacun est libre d'interpréter à sa façon : " C'est
ça le voyage ", " la vie c'est ça ", " c'est
ça la mort ", Ça représente un " immense point
d'interrogation ". C'est aussi le malheur, la
malédiction originelle, le Destin, mais dont on ne connaît
ni l'origine ni le devenir. "
Si le Ça célinien ne récuse aucune définition, aucune métaphore ( " C'est
aussi le malheur... le Destin " ), c'est parce qu'il les
sait toutes incapables de le contenir dans une délimitation.
Mais n'est-t-il pas indéfinissable parce qu'il est
inépuisable ? C'est le mérite de Céline d'avoir, malgré
tout, tenté l'aventure, d'en avoir fait son crédo : dire
tout le réel halluciné dont il s'est porté témoin. Est-ce un
hasard si les premiers mots par lesquels débute en 1954 un
autre roman, sont : " Raconter tout ça..." ?
Tout en étant conscient, donc, que ce réel était à la fois indéfinissable
et inépuisable, il ne s'est pas dérobé à la tâche,
s'avançant aux frontières de l'indicible, avouant que les
mots lui faisaient défaut, qu'il lui faudrait une autre
langue, tout à la fois verbale et musicale...
Mais il y réussit. Là où
il échoue c'est à exprimer tout le Ça, car il ne peut sortir
de ses limites existentielles : le Temps joue contre lui.
Néanmoins, il continue, et sa grandeur s'inscrit dans cette
lutte. Céline ? Un martyr du Ça, qui a fait courir son stylo
sur la feuille comme Sisyphe son rocher sur la pente,
toujours en quête de l'impossible exhaustivité :
" On ne sera tranquille que lorsque tout aura été dit, une bonne fois
pour toutes, alors on fera silence et on aura plus peur de
se taire. "
A défaut de pouvoir tout dire, en dire le plus possible,
avant d'être rattrapé par la mort, tel est le but que
l'écrivain se fixe trois ans après la parution de Voyage au
bout de la nuit :
" Je ne voudrais pas mourir sans avoir transposé tout ce que
j'ai dû subir des êtres et des choses [...] un énorme tas
d'Horreur en souffrance que je voudrais rafistoler avant
d'en finir. "
(Céline ? C'est Ça !... Le Petit Célinien
Editions, octobre 2012).
*
Jack KEROUAC (écrivain et poète américain,
considéré comme le plus important du mouvement Beat
generation
en littérature,1922-1969): " J'affirme
qu'il était un écrivain d'une intelligence et d'un charme suprême, et
que nul ne peut lui être comparé. Il a une influence très importante
sur l'écriture d'Henry Miller, soit dit en passant, ce ton moderne et
flamboyant qui envoie valser la rancœur de l'horreur, cette douleur
sincère, ce haussement d'épaules et ce rire de rachat. Il a même fait
rire et pleurer Trotsky.
La crise politique de notre temps n'est pas plus
importante que la crise turque de 1822, à l'époque où William Blake
écrivait ses lignes sur l'Agneau. Camus ferait changer la
littérature en simple propagande avec ses discours sur l' " engagement ".
Je ne me souviens que de Robinson... Je ne me souviens que du
Docteur en pleine miction au bord de la Seine... Moi-même, je ne suis
qu'un ex-marin, je ne fais pas de politique, je ne vote pas. Adieu,
pauvre souffrant, mon docteur. "
(Lettre de Kerouac à propos de
Céline, Zentropa, 16 nov. 2009).
*
Ahmadou KOUROUMA (écrivain ivoirien né en 1927, mort en
2003 à Lyon): " Enfin Ahmadou KOUROUMA n'avait jamais
caché l'admiration qu'il portait à Louis-Ferdinand Céline et
de son influence sur son œuvre. Lors d'un de ses derniers
entretiens qu'il donna pour RFI, il justifiait de l'emploi
du malinké dans ses romans : " L'idée m'est venue en lisant
Céline. Céline était le premier écrivain français à avoir
tenté de faire passer dans le texte littéraire le langage
courant, le Français oral tel qu'il est parlé par des
Parisiens. Ce qu'il avait réussi à faire était
époustouflant. Attention, je n'ai jamais adhéré pour autant
à l'idéologie sous-jacente à son œuvre. Mais je dois dire
que son Voyage au bout de la nuit a été une lecture
fondamentale pour moi. " (RFI, propos recueillis par
Tirthankar Chanda, le 14 nov. 2003).
Comme son illustre
modèle, KOUROUMA recevra le prix Renaudot en 2000
pour son roman Allah n'est pas obligé (Le Seuil). Si
dans le passé " la satire de Voltaire dans le style de
Céline " de KOUROUMA n'avait pas épargné
Houphouët-Boigny, ces critiques acerbes sur Laurent Gbagbo
et sa suicidaire politique raciale " d'ivoirité " lui
vaudront des menaces de mort qui l'obligeront à s'exiler en
France.
En son temps, Céline
avait violemment dénoncé l'absurdité de la colonisation, de
la guerre et du pouvoir, nul doute qu'en ce moment ils ont
plein de choses à se dire...
(David Alliot, BC n°250,
fév. 2004).
* Julia KRISTEVA
(psychanalyste, écrivain): " (...) Le biographe ne fera jamais que
rapporter son propre regard. La vérité se trouve dans l'œuvre. Les
biographies d'écrivains sont certes nécessaires, mais leurs limites les
marginalisent. Ce qui m'intéresse, c'est partir de l'œuvre et
m'appuyer sur la biographie pour enrichir l'interprétation. Ce
va-et-vient entre la vie et le texte n'est pas courant.
J'aimerais bien le faire avec la vie sensuelle de Céline par exemple.
On sait peu de chose sur ses rapports avec les femmes. Dans son œuvre,
l'image féminine bascule entre la femme-bonniche et la femme-fée. On ne
sait rien de sa sexualité, en fait. "
(Lire, juin 1993).
* Milan KUNDERA (écrivain de langue tchèque,
naturalisé français): " On sait que Milan KUNDERA éprouve une grande admiration pour Céline. Ce que l'on sait moins, c'est qu'en Tchéquie, où ils ont le même éditeur, KUNDERA a renoncé à ses droits d'auteur afin que cela serve à financer une
nouvelle traduction du Voyage au bout de la nuit.
Aux détracteurs de l'écrivain, il a magistralement répondu : " Des immatures
jugent les errements de Céline sans se rendre compte que les romans de
Céline, grâce à ces errements, contiennent un savoir existentiel qui,
s'ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes. "
(BC juin
2009, Les Testaments trahis, Gallimard, 1993).
* Tarmo KUNNAS (professeur
finlandais de littérature comparée à l'Université de Jyväskylä
enseignant à la Sorbonne): " Le jeune Céline est
parfaitement conscient de la force des illusions irrationnelles. La vie
est si écœurante qu'elle
ne peut être
tolérée qu'au moyen d'une ivresse : " Le monde ne dure que
par l'ivresse généreuse de la santé, une des forces magnifiques de la
jeunesse, qui compte aussi l'ingratitude et l'insolence. " L'ivresse
irrationnelle implique aussi la jeunesse, la santé, l'injustice et la
dureté, ce qui montre que la pensée " fasciste " se trouve déjà en
germe dans la thèse sur Semmelweis.
Malgré le ton assez pessimiste qui domine
le récit, le docteur
nous montre une petite religion de l'art, c'est-à-dire une illusion de
plus, pour faire tolérer la réalité : c'est à propos des chansons
populaires hongroises qu'il dit : " Aussi bien que la grande Musique ,
elles font
comprendre le Divin... Ecoutez dans l'âme toute surprise, toute joyeuse
d'être libérée d'un peu d'ombre , le charme de ces quatre notes
assemblées... "
Le jeune docteur est donc tout à fait conscient
qu'il faut certains stimulants pour pouvoir vivre : joie, force ou foi.
Nous trouvons cette même sagesse dans " l'Eglise
". La vie est un bagne pour Ferdinand, mais il y a le conseil
bienveillant de Véra : " Vous savez bien que ce qu'il nous faut à tous
pour vivre, c'est des excitants. ". Le malheur de Bardamu dans le "
Voyage " vient de ce que l'époque moderne
ne lui offre plus de ces excitants, ni foi religieuse ou politique, ni
idéaux authentiques, ni tâches bien définies. La vie moderne mène tout
le monde au sentiment du néant. Ce sont les excitants instinctifs et
irrationnels qui donnent le courage de vivre : "... c'était pas à
envisager que je parvienne jamais moi, comme Robinson, à me remplir la
tête avec une seule idée, mais alors une superbe pensée tout à fait
plus forte que la mort et que j'en arrive rien qu'avec mon idée à en
juter partout de plaisir, d'insouciance et de courage. " Bardamu nous
donne une véritable leçon d'illusionnisme : " Il faut choisir, mourir
ou mentir. "
(Drieu La Rochelle,
Céline, Brasillach
et la tentation fasciste, Les Sept Couleurs, 1972).
* André LAGARDE
(professeur et historien, co -auteur
des célèbres anthologies scolaires - LAGARDE et MICHARD 1912-2001): " Je
plaiderais volontiers en faveur de Céline [...] N'y a-t-il pas du
Sainte-Beuve - là où il est le moins bon - dans certaine tendance à
projeter sur l'œuvre les aspects dévalorisants de l'homme ?
Condamne-t-on le poète Verlaine en invoquant les faiblesses de l'homme
Verlaine ? "
(Lettre à L'Idiot international de Jean-Edern Hallier,
décembre 1993).
* Pierre
LALANNE (professionnel à la fonction publique du Québec, célinien émérite,
créateur du blog:
http://celinelfombre.blogspot.com):
" Il n'y a que Céline pour oser associer ainsi, le
communisme à l'âme. novembre 1938, publication de L'Ecole
des cadavres, comment arrêter la déferlante, gigantesque
vague de fond, qu'il voit surgir dans l'obscurité et qui
menace ? Depuis son voyage en
URSS, Céline est habité d'un
délire fiévreux, la nécessité de prévenir, de crier et de
hurler contre la résignation ambiante, la conspiration des
puissants sur les évènements à venir, la nouvelle tuerie. Il
se sait doté d'aucun pouvoir, impossible d'être entendu, les
dés sont joués d'avance, d'où sa rage, cette incapacité
d'inverser la marche forcée des névrosés ; une certaine
écoute, bien sûr, ses livres sont lus, mais les véritables
assises du pouvoir sont ailleurs, ils reposent en d'autres
mains, sectes fanatiques de financiers monstrueux,
tentacules visqueuses, ces mêmes créatures impitoyables qui,
jadis, entraînaient navires et équipages au fond des mers.
(...) Et Céline
de parler de l'âme. Il faut s'attarder à ce passage, se
laisser porter par la souplesse et la légèreté, d'un trait
de plume, il décortique sa particularité ; l'âme est
foncièrement libre, indépendante et anarchiste. (....)
Céline donne à tous les gauchistes fanatisés et dogmatisés
par les Saintes Ecritures marxistes et pseudo
humanistes une terrible leçon d'humilité. L'écrivain nie,
autant à l'autocratie totalitaire qu'à l'illusion
démocratique, le droit de s'approprier l'âme de l'homme.
Dans L'Ecole des cadavres, il nie à Staline le
flambeau de l'avenir de l'homme, comme il nie aux puissances
de l'argent le droit de précipiter, au nom de l'âme, l'homme
à la mort guerre universelle. Aujourd'hui, nous pourrions
facilement transposer ce que Céline dénonce par l'idéologie
de la mondialisation et de l'uniformisation de l'âme au nom
de la démocratie, de la liberté et des droits de l'homme. "
(Le communisme dans l'âme, 22 août 2010, L'ombre de
Louis-Ferdinand Céline).
* René LALOU (essayiste, historien de la
littérature 1909-2009): Il peut sembler , d'abord, étrange que le second
ouvrage publié par l'auteur du Voyage
au bout de la nuit
porte ce titre L'Eglise et
figure dans une
collection
intitulée
" Loin des foules ". La
signification de son titre symbolique, Céline
ne nous la livrera qu'au dernier acte avec cette riposte de Bardamu : "
C'est pas une religion, mon petit, Janine, la vie. Vous devriez le
savoir ! C'est un bagne ! Faut pas essayer d'habiller les
murs en église... il y a des chaînes partout. "
Ce qu'il nomme l'Eglise serait
donc toute la vie humaine telle que l'a peinte un faux idéalisme. Or,
nous sommes par ailleurs avertis
que cette comédie constituait la première version du célèbre Voyage. En la faisant paraître dans une
collection à tirage limité, son auteur entend, je suppose, nous inviter
à y chercher un comprimé de célinisme à l'état pur. "
(Le cas Céline, L'Eglise, L'Ecole libératrice, 14 oct.
1933, dans Les critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).
*
Luc LANG (écrivain, auteur d'une dizaine de romans,
recueil de nouvelles, essais, prix Goncourt des lycéens 1998
pour Mille
six
cents ventres : " En ce
moment je lis l'autre versant de Céline, le Céline
d'après-guerre : Nord, D'un château l'autre.
Ça me donne une énergie incroyable pour ce que j'écris en ce
moment [...] Ce n'est pas seulement en terme d'inspiration,
c'est en termes d'énergie, de rythme, de tempo, de liberté
aussi.
Il y a chez Céline une liberté dans l'écriture proprement
incroyable. [...] En France, Céline excepté, pour trouver
cette dimension, il faut remonter à Stendhal, à Flaubert. "
(Interviewé par Marc Weitzman, Les Inrockuptibles,
2-8 décembre 1998, dans L'Année Céline 1998).
* Danièle LATIN (professeur à l'Université de Liège) : "
Styliste, coloriste, musicien de la "
chose en soi
",
jamais homme de littérature n'a mieux
réalisé la vérité du style dans sa
souveraineté individualiste. Jamais style ne
s'est mieux révélé être, selon la définition
de Roland Barthès, " la germination d'une
humeur : langage inventé par lequel l'être " sort
de la société " rejoignant dans la solitude
l'écho d'une liberté secrète, durée intime
ou " émotion " dont la vérité exclusive se
fait réelle et opaque comme un corps.
Si Céline "
n'a pas d'idée
", il a par contre cette constance organique
à dire. Il n'est peut-être pas d'artiste qui
ait répété plus obsessionnellement que lui
le même message, le même rapport au monde.
Dans chaque œuvre, et d'œuvre en œuvre,
les affabulations quasi interchangeables
rencontrent un signifié unique, une seule et
même référence, visée, ressassée de
séquences en motifs et de scènes en
symboles. Cette idée corporelle - ou "
chose en soi
" -
ce sens du monde prégnant à l'émotion
physique, est ce qui génère sans cesse en
lui ces forces nouvelles nécessaires pour
durer, dire et dénoncer. "
(Voyage
au bout de la nuit ou l'inauguration d'une
poétique " argotique ", Revue des Lettres
Modernes 462-467, 1976).
* Camille LAURENS (de son vrai nom
Laurence RUEL-MEZIERES, romancière, prix Fémina 2000 avec " Dans ces bras-là " :
" Mes livres préférés sont ceux dont la lecture m'aide à vivre, ceux
auxquels je reviens sans cesse, sans lesquels je serais perdue. Ils
sont liés à des moments essentiels de ma vie, à des passages. Je cite
surtout des livres français parce que c'est la langue maternelle qui me
panse et me donne à penser. Ainsi j'ai relu Voyage... après la
mort de mon fils.
Les pages sur la mort de Bébert, mise en perspective avec une
lettre de Montaigne et un texte de Plutarque, sont à la fois hilarantes
et désespérées, elles creusent une sorte de tunnel dans le temps, comme
seuls y parviennent les livres dont la portée est universelle. "
(B.C.
octobre 2009).
* Jacques LAURENT (romancier, journaliste
et essayiste 1919-2000): " Quand Céline s'en prenait aux Juifs, ceux-ci
lui fournissaient un nom, une image,
une cible vers
laquelle pouvait librement rouler son délire: les Juifs, pour lui,
c'était les autres. Et s'il daignait examiner son cas c'était pour se
perdre dans les autres et se déclarer juif carrément. " Grâce à mon
genre incantatoire, mon lyrisme ordurier, vociférant, anathématique,
dans ce genre très spécial, assez juif par certains côtés, je fais
mieux que les Juifs, je leur donne des leçons ".
Nizan voyait clair en voyant dans Céline un poète, en le peignant comme
un " attardé de la dernière décade du XIXe siècle, un survivant
authentique de la génération symboliste... Là où le symboliste des
années quatre-vingt-dix écrivait azur, Céline écrit merde. "
(Enquête
sur l'Histoire, printemps 1994).
* " Céline faisait la guerre au mal
sans croire au bien ".
(Candide, 6 juillet 1961).
* Paul LEAUTAUD (écrivain
1872-1956): " Par son Journal littéraire, on sait que Céline lui
envoya, à sa parution, un exemplaire dédicacé de " Voyage au bout de la nuit " qu'il
n'ouvrit même pas et dont il n'accusa pas réception. Au moment de
l'attribution du Goncourt, il le feuilleta sur le conseil de
son ami Auriant qui lui en avait dit le plus grand bien.
Cette " littérature de mœurs populaires " ne l'emballe
pas et, en 1936, lors d'un déjeuner chez Benjamin Crémieux où l'on
célèbre " Mort à crédit ", il confirme son opinion sur le premier
roman de Céline: " Je n'ai aucun goût pour ce style volontairement
fabriqué, (...) les inventions ne m'intéressent pas, comme sujet ni
comme forme ". Et d'ajouter que " dans moins de cinq ans, on ne
pourra plus lire un livre de ce genre. " (!)
(B.C. n° 77,
janvier 1989).
*
Chantal Le BOBINNEC (amie de Gen
Paul, auteur de Gen Paul à Montmartre): "
Entre 1950 et 1964, Chantal Le BOBINNEC fit partie du cercle
des amis du peintre montmartrois. Ayant appris à jouer de la guitare
elle plut à Gen Paul qui avant de jouer de la trompette au cirque Médrano
avait taquiné la guitare.
Habituée de l'atelier de l'avenue Junot elle y côtoiera une faune
typiquement montmartroise: Daragnès, Marie Bell, Fernand Ledoux,
Charles Aznavour, Francis Lai, Marcel Jouhandeau, Marcel Aymé... Et
Céline... que Gen Paul rencontra dans les années 1930, avec leur longue
amitié. Amitié qui ne survivra pas à la guerre et aux accusations
délirantes de l'écrivain. "
(Gen Paul à Montmartre, présentation
Claude Duneton, 1 mai 2008).
* Hervé Le BOTERF (écrivain,
historien breton
1921-2000): " Robert
manifeste son affection et son admiration pour celui dont il a adopté
l'écriture pointilliste, la " petite musique " de style cadencé et
qui demeure par-dessus tout, son directeur de
conscience : - " Sa prose est hachée - sautillante, haletante, bougeuse
en tous sens - uniquement travaillée, savamment, pour être lue
visuellement et subjuguer ! Mais pour la lire à haute voix, c'est une
autre affaire, il faut trouver la manière de lire toutes ces inventions
innombrables qui participent, sans ordre, du récit, du dialogue, de
l'action, de l'observation de l'auteur... etc.
J'y ai réussi d'emblée (1). Je n'en peux
pas être honteux ! au
contraire en dépit de toute la faiblesse et de souffrances ! L'exercice
de la vieille profession m'a reporté à l'aisance du comédien accompli
d'il y a vingt -cinq ans ! Quelle résurrection incroyable ! J'y suis
pour fort peu de chose ! La Nature seulement.
(Robert Le Vigan, le
mal aimé du cinéma, France-Empire,1986, p.188).
(1)
Allusion à une bande sonore des textes de " Nord " et de la
correspondance de Céline que Le VIGAN a enregistrée, en vue d'en tirer
un disque.
*
Dominique
LE BOUCHER (écrivain, éditrice ): " (...) L'antisémitisme de
Céline, qu'on nous foute la paix avec ça, qu'on nous lâche les baskets
dans ce pays où le
racisme ordinaire sévit à tous les coins de rue,
dans toutes les cités de banlieue sans déranger personne et où on
pourrait croire qu'on a tondu à la Libération assez de femmes ayant été
dénoncées par de braves gens tout aussi braves que ceux qui dénoncent
les gamins des cités aujourd'hui mais elles, ça n'était pas pour avoir
volé un sac de bonbons, c'était pour avoir couché avec
l'occupant... Mais non ! on n'en a pas assez de cette morale-là, il en
faut encore et encore...
Toute l'existence de Céline, l'homme et l'écrivain, s'est nouée à vingt
piges quand il a vu, comme il le raconte dans Voyage, défiler
un régiment juste avant la déclaration de guerre en 1914 et que lui,
Ferdinand Bardamu, s'est précipité s'engager au 12e cuirassiers à
Rambouillet alors qu'il était encore complètement " puceau de la vie "
et que la grande boucherie s'annonçait... Cette première aventure va
d'ailleurs donner le texte fabuleux de Casse-pipe illustré, avant
Voyage et Mort à crédit, par les dessins extra terrestres de Jacques Tardi... Un texte où l'on voit apparaître le spectre de ce qui ne
cessera de poursuivre Céline et qui est la clef de tout : la folie
guerrière haineuse, meurtrière des hommes et son désir à lui de
l'empêcher à tout prix alors même qu'il est englué à l'intérieur du
désastre de l'immonde, de l'impensable... "
(BC n°299, juillet-août 2008).
* J. M. G. Le CLEZIO (écrivain, prix Nobel de littérature 2008): " On ne peut
pas ne pas lire Céline. Un jour ou l'autre on y vient parce que c'est
ainsi, parce qu'il est là, et qu'on ne peut pas l'ignorer. La
littérature française contemporaine passe par lui, comme elle passe par
Rimbaud, par Kafka et par Joyce. Céline appartient à cette culture
continuellement naissante qui est en quelque sorte le rêve de la pensée
moderne. "
(Le Monde, supplément, 15 février 1969).
*
Henri LEFEBVRE ( sociologue et
philosophe marxiste 1901-1991): " Cher confrère, / Je vois que vous
êtes parti du pied droit pour réformer l'humanité. C'est demain le 14
juillet. La ville est à vous ! N'hésitez pas ! / Mais quel drapeau
allez-vous planter tout en haut ? La croix gammée ? La faucille ? Le
marteau ! Le râteau ! Avec vos " désespoirs et colères si vivantes ".
Qui sera gouverneur ? Tout est là. Monsieur Gide ? Ses petits amis ?
Ubu ? Qui ? Vous-même ? / On est foutu, confrère, quand on se prend au
sérieux. Votre remontage de morale pue la guerre et " la madelon ". /
Oh, les colères vivantes ! Viens nous verser à boire ! / Bien à vous. /
L.-F. Céline. "
(Lettre du 13 juillet 1933, Lettres, Pléiade 2010).
* Robert LLAMBIAS : " Ces réflexions,
ces lectures, ce travail universitaire témoignent de mon
intérêt et de mon admiration pour celui que je considère
comme le plus grand romancier du XXe siècle. Non seulement
parce qu'il est un conteur prodigieux, mais parce que son
parcours témoigne des intuitions incroyables de cet
autodidacte de la littérature.
Lire Céline, du Voyage à Rigodon, c'est éprouver par quelles
voies l'art contemporain a évolué. Je dis l'art, et pas
seulement le roman. IL me paraît en effet évident que
l'évolution de l'écriture de Céline est à mettre en rapport
direct avec les transformations artistiques du XXe siècle.
(Robert Llambias, Louis-Ferdinand
Céline : Poétique romanesque).
* Maurice LEMAÎTRE
(de son vrai nom Moïse Maurice Bismuth, artiste, écrivain et poète, grande figure du lettrisme des
années
50): " Céline a, sans doute, à se justifier, voire même à
répondre de certaines " maladresses ". Mais à se justifier devant qui ?
devant quoi ? La justice en France, aujourd'hui n'est que dérision. Et
le procès Céline, s'il ouvre, ne peut-être, comme tous les autres
procès de même nature, qu'un procès dérisoire.
Car la
culpabilité de l'auteur du Voyage n'atteint pas la hauteur de
celle de bien de notoires profiteurs et tortionnaires de la
collaboration, libres aujourd'hui, d'écrivains " dédouanés ", de
politiciens et généraux blanchis.
On essaie, sans doute, par le silence
fait autour de lui " de lui faire payer, expier ses livres
d'avant-guerre, ses succès de littérature et de polémique
d'avant-guerre ". Par souci d'objectivité et d'information ainsi que
pour permettre aux écrivains et personnalités que Céline met en cause
de se justifier de cette accusation, nous ouvrons nos colonnes à
ceux-ci, consultés pour vous. "
(Le Libertaire, 13 janvier 1950).
* Charles LE QUINTREC (écrivain et poète breton
1926-2008) : " Il y a deux grands écrivains dans le XXe siècle qui sont
des survenus, des surgeons magnifiques qu'on ne peut pas greffer:
Proust et Céline. Combien de jeunes romanciers j'ai vu se perdre dans
ces méandres ! "
(Le Journal des Bretons, novembre 1994).
* Claude
LEVI-STRAUSS
(anthropologue et ethnologue 1908-2009): Parmi les dix titres de livres
que les lecteurs de " L'Evènement du jeudi " et les auditeurs de
France-Culture tiennent pour les plus importants figure " Voyage au
bout de la nuit " . Les autres titres étant: " A la recherche du temps
perdu ", " L'étranger ", " La condition
humaine ", La peste ", " Mémoires d'Hadrien "," La nausée ",
" Le petit Prince ", " L'écume des jours " et "
Tristes tropiques ". L'auteur de ce dernier, Claude
LEVI-STRAUSS, à qui on demandait lequel des neuf autres livres
retenait sa préférence mettait Proust et Céline ex -aequo : " Je me
souviens très bien que, l'année de la parution de Voyage au bout de
la nuit, j'étais secrétaire général de l'Association des étudiants
socialistes. J'avais écrit un article pour défendre haut et fort le
roman de Céline contre mes camarades qui le jugeaient inacceptable pour
la seule raison que le livre avait été découvert par Léon Daudet !
Proust et Céline : voilà tout mon bonheur inépuisable de lecteur. Quel
honneur, aujourd'hui, d'être soudain à leurs côtés ! "
(BC
décembre 1990).
* Dans L'Etudiant socialiste (janvier 1933), article de
Claude LEVI-STRAUSS : " Le Voyage au bout de la nuit,
de Louis-Ferdinand Céline, est sans doute l'œuvre la plus
considérable publiée depuis dix ans, à la fois par sa valeur
profonde, et par la formule volontairement outrancière et
agressive qui lui donne une allure de manifeste, et de
manifeste libérateur. [...] Haine des hommes ou plus
exactement de la société qui les rend mauvais. Cynisme fait
de découragement devant l'énormité des difficultés qui
brisent tout effort ; révolte contre toutes les formes
d'oppression et d'injustice, telle nous apparaît la pensée
de Céline.
A cet égard, le début de Voyage apporte les pages les plus
véridiques, les plus profondes et les plus implacables qui
aient jamais été inspirées à un homme qui refuse d'accepter
la guerre. "
(Eric Mazet, Spécial Céline n°12, février, mars, avril 2014).
* Herbert R. LOTTMAN (écrivain et
journaliste américain , vit à Paris depuis
25 ans): " L'iconoclaste Céline, à l'écart de tous
pendant les années
trente, presque aussi éloigné de la droite que de la gauche, nia dans
Bagatelles pour un massacre que son voyage en URSS lui eût été offert. " J'ai tout payé de mes clous... de
mon petit pognon bien gagné, intégralement : hôtel, taxis, voyage,
interprète, popote, boustif... " En effet, les Soviétiques lui devaient
encore de l'argent - deux cents roubles de droits d'auteur.
Mais, en
avouant qu'il avait dépensé l'argent gagné, Céline révélait sans s'en
rendre compte qu'il avait, lui aussi, bénéficié du traitement de faveur
que réservaient les Soviétiques à ceux qu'ils désiraient cultiver.
Dans la situation qui régnait alors, les Soviétiques ne payaient rien
aux auteurs traduits, à moins qu'il ne s'agît de personnalités à
" conquérir ". Au vrai, Céline s'était rendu là-bas en 1936, à
l'invitation du gouvernement soviétique, afin d'y dépenser des droits
qui lui furent payés en devises non exportables. Le camp soviétique
avait tout simplement fait, dans son cas, un mauvais calcul. "
(La
Rive gauche, Seuil, 1981, p.92).
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